Contribution de la géochimie à la connaissance des écoulements souterrains profonds [L. André, 2002]

Application à l’aquifère   des Sables Infra-Molassiques du Bassin   Aquitain

ANDRÉ Laurent (2002) - BRGM - 3 avenue Claude Guillemin - BP 36009 - 45060 Orléans cédex 2 - l.andre brgm.fr

Thèse de l’Université Michel de Montaigne - Bordeaux 3 - Institut EGID

Mots clé : bassin   sédimentaire, géologie, eau souterraine, géochimie des eaux, isotopes, modélisation, transfert, drainance, diffusion

Intérêts

  • composition chimique de l’eau des SIM, origine du soufre en solution et différents processus géochimiques responsables de la mise en solution des espèces et de l’évolution spatiale de leur concentration,
  • mise en cohérence des données géochimiques avec les modèles hydrogéologiques et géologiques,
  • datation des eaux : vitesses d’écoulement et taux de renouvellement des eaux, vis-à-vis des structures souterraines.

Résumé

L’objectif de cette étude était de décrire d’une manière générale, puis dans le détail, la composition chimique des eaux des Sables Infra-Molassiques et son évolution, pour en examiner sa cohérence avec les modèles hydrogéologiques et géologiques actuellement proposés.

De manière globale, la composition chimique de l’eau des Sables lnfra-Molassiques, permet d’identifier l’existence de deux sous bassins géochimiques :

  • au Nord et à l’Est, des eaux de type bicarbonaté sodique voire sulfaté sodique atypiques, présentant de fortes minéralisations liées principalement aux fortes concentrations en sulfates ;
  • au Sud, des eaux de type bicarbonaté calcique, faiblement minéralisées.

Relater une origine et une histoire nécessitait l’utilisation d’un marqueur géochimique. Le choix s’est porté sur l’élément soufre et son isotope, le soufre-34. Les rapports isotopiques ont permis de mettre en évidence l’origine du soufre en solution (météorique, dissolution de gypse, oxydation de pyrite) mais aussi les différents processus géochimiques responsables à la fois de la mise en solution des espèces et de l’évolution spatiale de leur concentration. Les évolutions des teneurs en marqueur ont conduit à proposer une modélisation de la composition chimique des eaux. L’étude de leur évolution, selon quatre processus géochimiques principaux (dissolution, oxydo-réduction, réaction acide-base, échange) a été effectuée et permet de définir l’importance relative de chaque processus lors de l’acquisition de la composition chimique.

Une mise en cohérence des données géochimiques avec les modèles hydrogéologiques et géologiques a ensuite été proposée selon trois tubes de courant principaux, puis un couplage topographie souterraine - géochimie a été présenté. Bon nombre d’hypothèses hydrogéologiques sont validées. Cependant, la géochimie permet de mieux caractériser le rôle joué par les structures souterraines sur les vitesses d’écoulements des eaux mais aussi sur le taux de renouvellement des eaux à leur voisinage.
Dans cette vision géochimique de l’aquifère  , les transferts de matière issus des épontes ont été envisagés. Le rôle de la drainance mais aussi de la diffusion ont été mis en évidence notamment pour rendre compte des variations de faciès   géochimiques des eaux de l’aquifère  .

Introduction

Le Bassin   Aquitain, qui couvre près du cinquième du territoire français, possède des richesses en eau, principalement localisées dans ses aquifères   profonds. D’âge Jurassique à Miocène, ils permettent I’approvisionnement en eau de nombreux secteurs économiques, de l’irrigation à I’alimentation en eau potable  , de la géothermie aux besoins industriels.

Cette étude, engagée par la société Total Fina Elf, gestionnaire des stockages de gaz souterrain de Lussagnet et lzaute porte plus particulièrement sur I’aquifère   éocène dont les propriétés hydrogéologiques permettent entre autres le stockage de gaz en profondeur.

Cet aquifère  , aussi appelé aquifère   des Sables Infra-Molassiques de par sa position au mur d’une couverture argileuse, a été mis en évidence lors de la prospection pétrolière engagée dans le Bassin   Aquitain depuis la fin des années 50. Les nombreux forages d’exploitation ont ainsi permis l’élaboration de cartes structurales mais aussi des propriétés réservoir de l’aquifère  .

La gestion de cette ressource vis-à-vis de plusieurs domaines d’exploitation a conduit à mener de nouvelles recherches, plus axées sur l’hydrogéologie de la nappe   et ses conditions d’écoulement.

Les résultats ont permis d’établir les grands traits de l’écoulement et le comportement de la nappe   à proximité de quelques structures connues. Mais, la connaissance du fonctionnement global doit faire intervenir des processus complémentaires tels que les transferts de matière avec des aquifères   connexes qui n’ont pas été pris en compte dans une vision exclusivement hydrodynamique.

L’approche de la géochimie des eaux de la nappe   est devenue nécessaire pour une information plus complète. Cette démarche, qui passe par I’identification de marqueurs-indicateurs, d’échanges ou de mélanges liés aux spécificités structurales ou sédimentologiques profondes, a permis de localiser et parfois de quantifier d’éventuels transferts de matière.

L’objectif qui est la mise en cohérence des modèles géologique, hydrogéologique et géochimique tels qu’ils sont proposés pour décrire le contexte souterrain profond de l’aquifère   éocène en est l’expression ultime.

Dans un premier chapitre, nous rappellerons brièvement les grandes lignes de la géologie du Bassin   Aquitain et aussi le système d’aquifères   qu’il renferme.
Nous décrirons de manière plus détaillée les conditions de dépôt de l’éponte molassique qui recouvre l’ensemble avant d’aborder l’étude plus particulière de l’aquifère   des Sables Infra-Molassiques, ses conditions de sédimentation, de gisement ainsi que ses caractéristiques hydrogéologiques.

Le deuxième chapitre sera consacré à l’établissement de l’ensemble des données chimiques de l’eau de l’aquifère  , leur présentation et leur traitement.
L’ensemble des grandeurs recueillies, tant chimiques qu’hydrogéologiques consignées dans une base de données spécifique, permet d’obtenir une vision globale ou détaillée de la nappe   des Sables lnfra-Molassiques. Une approche synthétique s’appuie ensuite sur différentes expressions cartographiques montrant à l’évidence les grands domaines ou secteurs géochimiques de l’aquifère  .
L’appréciation des grandeurs ou espèces d’influence sur la composition chimique de I’eau se déclinera sous forme de marqueurs spécifiques tant majeurs (tels que Cl ou SO4) que discrets( éléments traces) ou bien isotopiques (14C,13C, 18O,34S).

Le troisième chapitre décrit I’ensemble des processus géochimiques qui interviennent lors de l’acquisition de la composition chimique des eaux ainsi que de leur intérêt, tel que celui du soufre-34 des sulfates dissous qui apporte quelques visions nouvelles sur le mode d’acquisition d’une partie de cette composition chimique et des phases minérales associées.
La mise en œuvre des processus nous a dès lors conduit à conjecturer sur les paragénèses minérales. Les analyses minéralogiques nous ont indiqué I’indigence du cortège minéralogique, sans doute liée au taux de renouvellement important et aux dissolutions répétées par l’eau de l’aquifère  . Les données de δ34S nous ont conduit à considérer l’aquifère   des Sables Infra-Molassiques comme une entité transmissive couplée à des épontes capacitives, susceptibles de fournir des quantités de matière largement suffisantes pour expliquer les variations de composition chimique des eaux de l’aquifère  .
Le chapitre se termine par une tentative de restitution de la composition chimique de chacune des eaux de l’aquifère   à partir d’une combinaison des quatre processus géochimiques fondamentaux.

Le chapitre IV, dans sa première partie, est un essai d’harmonisation de la construction hydrogéologique exprimée selon 3 grands axes de courant et de la construction géochimique, passée au prisme d’une modélisation, de I’acquisition et de l’évolution de la composition chimique le long de ces axes de flux. On notera que souvent les données ou les calculs de la géochimie contraignent le système en montrant les impossibilités ou les passages obligés.
La dernière partie de ce chapitre nous amène à conjecturer à l’aide d’images superposables sur f influence possible ou probable des grands traits de la topographie souterraine sur les continuités, discontinuités ou singularités qu’elle engendre dans l’évolution de la composition chimique des eaux souterraines en écoulement.

Conclusion

L’étude géochimique des eaux de l’aquifère   des Sables lnfra-Molassiques avait pour objectif de déterminer le comportement hydrogéochimique de la nappe  , et de mettre en cohérence le modèle géochimique obtenu avec les modèles hydrogéologiques et géologiques déjà établis.

Dans un premier temps, un état des connaissances a été dressé. Il a nécessité la réalisation d’une base de données couplée à un Système d’Informations Géographiques. Cette base de données relationnelle donne un accès direct aux valeurs, tant techniques que géologiques, piézométriques ou chimiques, tout en conservant le référentiel BSS du BRGM, et permet un croisement immédiat de toutes les données nécessaires à notre tâche.

Les données de minéralisation des eaux et celles du cortège analytique ont été validées puis implémentées à l’aide de nouvelles analyses chimiques réalisées au laboratoire et sur le terrain.

Le nouveau set de données, ainsi obtenu, a été traité de manière globale par l’utilisation de diagrammes représentatifs de Piper et de Schoeler qui ont conduit à la mise en œuvre des faciès   caractéristiques des eaux. Une étude particulière de quelques espèces telles que les sulfates ou les chlorures pour les éléments majeurs et les bromures, les fluorures, le baryum ou le strontium a été effectuée. Leur expression cartographique, couplée à celle des principaux faciès   caractéristiques, nous a conduit à considérer des domaines bien déterminés( zone Nord et zone Sud).

De nombreuses mesures isotopiques ont contribué à l’étude du comportement géochimique de la nappe  , que ce soit par le biais des isotopes radioactifs ou bien des isotopes stables de l’environnement tels que 2H, 34S et 18O.

La mise en perspective de l’ensemble des données a conduit à choisir l’élément soufre comme marqueur :

  • de l’origine des minéralisations ;
  • des processus de mise en solution ;
  • des processus modificateurs de l’espèce soufre.

Ce marqueur et la composition chimique générale de chaque eau analysée ont mis en évidence que l’acquisition du faciès   géochimique de l’eau souterraine pouvait s’obtenir spécifiquement à partir de quatre processus géochimiques principaux :

  • la dissolution congruente : le gypse mais aussi d’autres sels semblent être responsables des concentrations de certains éléments traces dans les eaux.
  • l’oxydo-réduction : un mécanisme d’oxydation de pyrite, à partir d’oxydes de fer présents au sein de l’aquifère  , est présenté dans cette étude.
  • les réactions acide/base : les concentrations en éléments alcalino-terreux et en hydrogénocarbonates des eaux liées à l’équilibre calco-carbonique.
  • l’échange d’ions : la détermination des faciès   géochimiques révèle l’existence d’eaux au faciès   bicarbonaté sodique, peu fréquent pour des eaux souterraines profondes, issues de terrains sédimentaires L ’échange d’ion avec l’encaissant est le processus le mieux à même d’expliquer ces compositions’

Ces quatre processus géochimiques ont permis, à partir de quatre minéraux (gypse, pyrite, calcite, dolomite  ) et d’une eau de composition donnée, de modéliser la composition chimique des eaux des Sables Infra-Molassiques. Cette démarche de géochimie quantitative, à l’échelle d’un bassin   régional, est en elle même une « innovation ».

Des tentatives de couplage hydrogéologie-géochimie des eaux ont été réalisées selon trois tubes de courant principaux de la nappe  , ainsi qu’une tentative de couplage topographie souterraine - géochimie des eaux.
C’était en quelque sorte le but ultime de notre travail. Ces interprétations nous ont conduit à valider un certain nombre d’hypothèses prises en compte lors des constructions hydrogéologiques comme notamment, un écoulement ouest, en accord avec l’idée de « chenal de transmissivité » proposée par d’autres auteurs, le rôle et l’intérêt d’un écoulement « central » issu des Pyrénées et orienté Sud-Nord, enfin l’identification d’un écoulement global Est-Ouest, particulièrement minéralisé et presque indépendant dans la zone Nord.
La modélisation géochimique attire l’attention sur quelques singularités telles que I’existence de zones :

  • à faible potentiel de renouvellement
    La structure de Garlin engendre un milieu relativement fermé et peu renouvelé. De même o le flanc Est de la structure d’Audignon constitue une zone de fermeture et de confinement par bisautage. Ces propositions sont largement confortées par les phénomènes d’échange cationiques (eaux bicarbonatées sodiques) et par des âges d’eaux élevés (> 25 0000 ans).
  • à potentiel de renouvellement local activé
    Des communications descendantes le long d’accidents, mettent en relation surface et profondeur, Elles sont responsables d’émergences thermales, provoquant des rajeunissements locaux des eaux (Barbotan, Castéra-Verduzan), par le biais de boucles de convection descendantes.

L’approche géochimique du comportement de l’aquifère   nécessite la prise en compte des épontes et des éventuels échanges (ou transferts de matière) qui peuvent se produire entre les deux unités.

Les analyses minéralogiques (RX) des sédiments de l’aquifère   ont révélé la pauvreté du sédiment sableux vis-à-vis des minéraux solubles (à de rares exceptions près comme Muret 104) ; le cortège minéralogique est principalement composé de quartz et de calcite, probablement néo formée, la pyrite n’apparaissant qu’en certains endroits, notamment dans les Grès à Nummulites. La couverture molassique, formée de sédiments argilo-gréseux, issus des Pyrénées et déposés le long de deltas alimentés de manière plus ou moins continue, doit être considérée pour son aspect capacitif vis-à-vis du milieu hautement transmissif que représentent les Sables sous-jacents.
Les transferts éponte-aquifère   ont été abordés selon deux processus : drainance et diffusion.

Ainsi, l’éponte molassique semble largement responsable de la minéralisation de larges zones bien déterminées, par des processus d’apports descendants (Zone Nord), les flux étant toutefois limités par la perméabilité   des terrains traversés. Pour les très faibles valeurs, la diffusion sera considérée comme le processus responsable des apports issus de la molasse.

Si les flux d’eau, au sein de l’aquifère  , sont conservatifs, les échanges avec les épontes provoquent des flux de matière d’autant plus grands qu’ils s’exercent par le biais de solutions saturées. Cette approche, purement géochimique, est primordiale et les processus ne peuvent être pris en compte qu’à des échelles de temps compatibles avec les taux de renouvellement de la nappe  . Ces processus permettent enfin de valider les modèles conceptuels invoqués par les « isotopistes ».

A propos de l’influence des topographies souterraines sur la composition chimique des eaux, on notera en particulier l’influence des structures sur la composition chimique des eaux à Gondrin, situé sur une zone de passage obligé, interstructural, responsable par ailleurs d’un drainage intense des eaux issue de la région de Dému et Pléhaut.
On notera aussi que les mélanges naturels d’eau sont peu probables en profondeur. A Lamazère, le contact « direct » entre l’aquifère   sous-jacent (Dano-Paléocène) t les Sables, évoqué par la cartographie, semble responsable de la similitude des solutions, les différences s’expliquant par un processus d’échange de cations.

Pour terminer, nous avons donné une expression cartographique des écoulements que I’on pourrait être amené à proposer en superposant aux constructions géologiques et hydrogéologiques l’apport de la géochimie des eaux. C’était le but de ce travail.

L’ensemble des données étudiées, anciennes ou acquises lors de cette thèse, montre une forte cohérence au sein de ce schéma d’écoulement revisité. Le manque de points aux confins de l’aquifère   rend néanmoins difficile une identification plus précise des sorties. Les communications entre aquifères   évoquées demanderaient à être quantifiées.

Deux voies pourraient permettre de clarifier ces points : la modélisation couplée et un approfondissement du mode de fonctionnement géologique des structures et des zones d’échange. En effet, la géochimie a précisé des directions d’écoulement mais celles-ci nécessitent une cohérence des flux à l’échelle du bassin  , qui ne peut être obtenue que par un modèle 3D multicouche, entièrement couplé géochimie-transport.

Par ailleurs, les données géochimiques tendent à montrer les rôles variés pour chaque structure et des communications entre aquifère  , parfois complexes comme dans le compartiment Nord. Ces ébauches de fonctionnement géologique demandent à être validées par une analyse géologique fine de l’évolution du bassin   au Tertiaire.

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