Méthodes hydrogéologiques

Identifier un système karstique  , en termes de degré de karstification et de fonctionnalité, revient à savoir s’il existe ou non une organisation des vides et une organisation des écoulements (Marsaud, 1997). On gardera à l’esprit que l’utilisation individuelle des méthodes ne permet pas de conclure sur le type de système étudié. Seule la conjonction de plusieurs méthodes est suffisante pour mettre en évidence l’existence d’un comportement et d’une structure karstique  . L’ensemble des méthodes étant par ailleurs largement décrit dans la littérature (Mangin, 1975), (Belleville, 1985), (Marchet, 1991), (Corbier, 1999), (Fournier, 2006), (Dörfliger et al., 2010), seuls les grands principes et objectifs sont repris ici.

Délimitation du bassin   d’alimentation

La délimitation des bassins d’alimentation doit, tout d’abord, tenir compte de la spécificité des milieux karstiques   et de la dualité de leur mode d’alimentation : diffus par les précipitations et ponctuel au niveau de pertes. La délimitation du bassin   versant du cours alimentant les pertes doit être effectuée à l’aide d’un modèle numérique de terrain et/ou des cartes IGN. La caractérisation des pertes nécessite une reconnaissance de terrain, des jaugeages différentiels sur le cours d’eau en différentes conditions hydrologiques. Un suivi hydrologique de la source sur un ou plusieurs cycles hydrologiques est nécessaire. La définition des bilans hydrologiques repose sur l’analyse de la cohérence qui existe entre les volumes d’entrée et les volumes de sortie à l’exutoire d’un système, elle permet de caractériser globalement les limites de l’impluvium du système. La méthode consiste à évaluer pour une période donnée, le volume d’eau écoulé à l’exutoire et le volume des pluies qui entrent dans le système. Elle repose ainsi sur la détermination des précipitations efficaces qui représentent la quantité d’eau fournie par les précipitations qui reste disponible pour le système, après soustraction des pertes par évapotranspiration réelle (ETR).

Méthodes des débits classés

La méthode d’analyse des débits classés a pour objectif de caractériser les différents régimes d’écoulement observables au niveau d’un exutoire. Il s’agit d’identifier des événements particuliers de type mise en fonctionnement d’un trop plein, fuites vers un autre système à partir d’une analyse des modifications qu’ils induisent sur les hydrogrammes (Marsaud, 1997). La méthode proposée par Mangin (1971) consiste à classer les débits par groupes afin de mettre en évidence des valeurs de débits critiques : valeurs anormalement élevées ou faibles. Une loi   statistique est ajustée liant les classes de débits à leurs fréquences d’apparition. L’interprétation des graphes de débits classés repose sur l’identification d’anomalies affectant la droite représentative ; ces anomalies se marquent par des modifications de la pente de la droite. Cette méthode permet de mettre en évidence la présence de fuites ou d’apports éventuels pouvant se produire entre différents systèmes et de déterminer les conditions de mise en fonctionnement de sources de trop-plein. Ceci permet d’obtenir des éléments sur les processus d’alimentation et de pertes du système karstique   étudié.

Analyse des courbes de récession

Cette analyse permet d’appréhender le fonctionnement de la zone d’infiltration et d’évaluer l’importance des réserves de la zone noyée en attribuant une forme mathématique aux courbes de décrue (partie décroissante de l’hydrogramme de crue d’une source) et de tarissement. L’hydrogramme simple est alors décomposé en deux fonctions mathématiques caractérisant chacune un type d’écoulement selon la méthode proposée par Mangin (1975).
À partir de cette courbe de récession et de la détermination du coefficient de tarissement α, le volume dynamique peut être approché. Celui-ci correspond à une estimation a minima des réserves du système (Dörfliger et al., 2010).

Décomposition de la récession (Corbier, 1999)

Analyses corrélatoires et spectrales

Elles détaillent le fonctionnement du système à partir de l’analyse statistique de séries chronologiques de débits, de précipitations et/ou de niveaux piézométriques. La méthode consiste à analyser et comparer les signaux d’entrée et de sortie (pluie-débit, piézométrie-débit, température-débit, …). Le traitement s’effectue soit dans le domaine temporel (analyse corrélatoire) soit dans le domaine fréquentiel (analyse spectrale). L’analyse simple s’appuie sur l’analyse d’un signal unique pour révéler sa structure temporelle ou fréquentielle, tandis que l’analyse croisée permet d’analyser les liens de cause à effet entre deux signaux, et donc de décrire l’opérateur de transfert entre les deux variables.

L’intérêt de l’application de ces analyses à l’étude du système repose sur le fait qu’un système se comporte comme un filtre qui intègre différents signaux (chroniques de pluie) et les restituent (chroniques de débit, de piézométrie etc.) (Marsaud, 1997) : « L’état du système ne dépend que des entrées les plus récentes », c’est-à-dire qu’un système possède une mémoire plus ou moins longue des entrées antérieures, et le comportement est alors plus ou moins inertiel. Dans le cas du karst  , la notion de filtre est à mettre en relation à la fois avec l’importance des réserves et l’organisation de la structure de drainage. Un système karstique   bien drainé (systèmes karstiques   au sens strict), possédant une structure de drainage très organisée possédera peu de réserves. Dans ce cas, l’information pluie est peu altérée par le système. À l’inverse, dans le cas d’un système mal drainé, soit en raison d’une structure peu évoluée (aquifères   carbonatés fissurés et karstifiés) soit parce que la structure n’est plus fonctionnelle (systèmes karstiques   contrôlés aux limites), l’information pluie est filtrée par le système ».

L’analyse corrélatoire simple permet de rechercher le caractère répétitif des séries temporelles et leurs éventuelles natures cycliques (Dörfliger et al., 2010). Sur les chroniques de débit, elle permet de définir « l’effet mémoire » de l’aquifère   qui traduit la dépendance dans le temps des valeurs de débit en présentant une décroissance plus ou moins rapide de la corrélation. La vitesse de décroissance est directement liée à l’inertie du système ; cet effet est d’autant plus important que le filtrage introduit par le système est important. Sa valeur peut être rapprochée du degré de karstification.

L’analyse spectrale simple permet d’accéder au fonctionnement des systèmes karstiques   à travers l’évaluation :

  • du «  temps de régulation » qui définit la durée d’influence d’un signal d’entrée. Plus ce temps est grand, plus le système possède un comportement inertiel, plus le volume des réserves est important et moins le système est karstifié ou bien il s’agit d’un karst   non fonctionnel.
  • de la « fréquence de coupure » qui quantifie la régulation introduite par le système à partir de la façon dont le système modifie l’information pluie. L’information à court terme (jours, semaine) est d’autant plus filtrée que le système est inertiel, et l’information portée par les pluies est transformée principalement en cycle annuel.
  • Les analyses corrélatoires et spectrales croisées permettent d’approcher la « réponse impulsionnelle » du système. Un système karstique   bien drainé présentera un corrélogramme croisé en forme de « pic » d’autant plus accusé que le drainage est important contrairement à un système mal drainé où la réponse impulsionnelle sera plus étalée.

Modélisation des systèmes karstiques  

Il existe plusieurs approches principales de modélisation pour étudier et caractériser les systèmes karstiques   hydrogéologiques :

  • Les modèles globaux impliquent des analyses mathématiques de la série de débits de la source (hydrogramme) qui reflètent la réponse hydrogéologique globale de l’aquifère   karstique  . Selon cette approche, les systèmes karstiques   transforment le signal d’entrée (la recharge par les précipitations) en un signal de sortie (le débit). L’acquisition des données de débits étant assez simple, les modèles pluie-débit sont utilisés depuis plusieurs dizaines d’années.
  • Les modèles fondés sur la physique prennent en compte les processus physiques pour expliquer les débits. Le domaine à modéliser est découpé en mailles qui intègrent chacune de nombreux paramètres à déterminer plus ou moins facilement selon le type de l’aquifère  .
  • Les modèles à réseaux de neurones ont une structure représentée par une agrégation de neurones. Le neurone est un opérateur mathématique qui transforme une ou plusieurs variables d’entrée en une ou plusieurs variables de sortie. Le neurone réalise une fonction algébrique, non linéaire, de ces variables d’entrées. Ces modèles sont appliqués aux systèmes karstiques   (Johannet et al., 2008 ; Kong A Siou, 2011).

Les premiers modèles, appelés modèles globaux, ont été développés et utilisés par des hydrologues afin de comprendre l’origine des débits de cours d’eau de surface et d’aboutir à leur simulation. Les hydrologues et hydrogéologues se sont intéressés à comprendre les processus de génération de débits pour ensuite les simuler. Les modèles ne prennent pas en compte l’ensemble des hétérogénéités du milieu naturel (nature du sol, végétation, structure de l’aquifère  …), ils sont alors une simplification du terrain étudié.
Ces modèles sont utilisés afin de discuter des réserves régionales en eaux souterraines (Bakalowicz, 2005 ; Fleury et al., 2009 ; Ladouche et al., 2014), ou comme un outil d’identification et de quantification des écoulements (Fleury et al., 2007a), comme un modèle de prédiction des débits (Fleury et al., 2007c), pour discuter des risques de crues (Fleury et al., 2013b), pour évaluer la vulnérabilité de l’aquifère   karstique   (Butscher and Huggenberger, 2008), pour réaliser des bilans hydrologiques (Jukić and Denić-Jukić, 2009)… Il s’agit donc à partir de la connaissance géologique et géomorphologique de l’aire de recharge, de prévoir pour différents scénarios les débits de crues ou d’étiage.

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