L’âge des eaux souterraines

Les océans, les rivières, les lacs, les glaciers, les nappes   d’eau souterraines, l’atmosphère, les êtres vivants… Tous sont constitués d’eau. La goutte d’eau qui se trouve dans l’un de ces « réservoirs » va y rester un certain temps, c’est ce que l’on appelle son « temps de résidence ». Plus le « transfert » d’un réservoir à l’autre est rapide, plus le temps de résidence dans ce réservoir est court. L’eau y est ainsi « renouvelée » rapidement. On peut dire également que son « temps d’écoulement » est rapide.

Des temps de résidence variables selon les réservoirs

Temps d’écoulement dans différents réservoirs (source : SMEGREG)

Le temps de résidence peut être très court, quelques heures seulement dans les plantes, comme beaucoup plus long, jusqu’à quelques milliers d’années dans les glaciers ! Une molécule d’eau va passer quelques jours dans une rivière avant de rejoindre l’océan, alors qu’il lui faudra plusieurs centaines, voire milliers d’années, pour ressortir d’une nappe   d’eau souterraine. Tout dépend aussi de la profondeur de la nappe  

Des temps de résidence variables selon la profondeur des aquifères  

Echelle de temps des écoulements dans différents aquifères (d’après Toth, 1995)

De façon générale, les eaux de surface se renouvellent rapidement : de quelques jours à quelques dizaines d’années pour la plupart des nappes   superficielles. Elles se remplissent avec la pluie et sont souvent en connexion avec les fleuves et rivières.

Les nappes   profondes, elles, se renouvellent beaucoup plus lentement. Il leur faut des centaines, voire des milliers d’années, selon la profondeur et la nature des terrains.

Par exemple, l’eau des nappes   profondes situées sous la ville de Bordeaux met entre 10 000 et 20 000 ans pour se renouveler ! Puisée pour l’eau potable, l’eau de ces nappes   subit d’ailleurs des prélèvements importants, ce qui en fait une ressource fragile et épuisable à l’échelle humaine.

Globalement, les eaux des réservoirs les plus profonds sont les plus anciennes. Certains aquifères   contiennent des eaux très anciennes qui ne se renouvellent plus dans les conditions climatiques actuelles ! On parle alors d’eau fossile.

Le cas des aquifères   karstiques  

Dans le cas d’aquifères karstiques, le temps de résidence peut être extrêmement court : de quelques jours à quelques semaines ! Ceci s’explique par la présence de cavernes et de vides souterrains augmentant la vitesse de circulation.

Par exemple, les temps de résidences calculés pour les eaux des nappes   du Crétacé dans le Bassin   aquitain sont assez jeunes, en comparaison avec les eaux des réservoirs au-dessus, comme l’Eocène. Pourtant, ce devrait être l’inverse ! Ceci pourrait être expliqué par la nature karstique   de ces réservoirs qui favoriserait des temps de circulation plus rapides.

Distribution des temps de résidence dans les nappes du Crétacé (rapport RP-62193-FR « Eaurigine »)

Les raisons des vitesses variables dans les aquifères  

En fonction de la nature de l’aquifère  , les durées de transfert sont différentes. La porosité   et perméabilité   des terrains jouent un rôle important : une goutte d’eau se déplace plus vite si l’environnement est très poreux et perméable. Par exemple, le calcaire se laisse plus facilement traverser par l’eau que l’argile. On peut imaginer que la vitesse de circulation de l’eau dans le calcaire est ainsi plus courte que dans l’argile !

Les vides rencontrés dans les aquifères   karstiques  , ou des accidents tectoniques comme des plis ou failles, peuvent également augmenter la perméabilité   des terrains et changer la vitesse de circulation (exemple du système multicouche nord aquitain).

Comment mesure-t-on le temps de résidence de l’eau ?

Connaître le temps de résidence d’une molécule d’eau dans un aquifère  , c’est connaître son « âge ». Cela correspond au temps écoulé entre son point d’infiltration dans l’aquifère   jusqu’à son point de sortie (exutoire naturel ou pompage).
L’âge des eaux souterraines se caractérise à partir de traceurs isotopiques. Ils sont nombreux et variés.
©Larousse
L’utilisation des traceurs isotopiques (oxygène-18, deutérium, carbone-14) est devenue une technique relativement courante dans l’étude des eaux souterraines. Ces outils permettent la détermination d’un temps de résidence de l’eau (carbone 14) et de mettre en évidence l’origine paléo-climatique de la recharge (oxygène-18, deutérium). Le choix du traceur doit être adapté aux conditions de circulation des eaux dans l’aquifères   étudié.

En complément, la problématique de la recharge des systèmes aquifères   et du temps de résidence des eaux au sein des réservoirs peut être abordée via les isotopes de l’uranium (234U/238U). Cette méthode permet d’accéder à des temps de résidence très anciens, au-delà de la gamme pouvant être investiguée par le carbone 14.
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Les mesures de gaz rares dissous dans l’eau, tels que l’hélium (He), le néon (Ne), l’argon (Ar), le krypton (Kr) ou le xénon (Xe), permettent de retrouver les températures des molécules d’eau au moment de leur infiltration.

Les gaz rares sont considérés comme de très bons traceurs en hydrogéologie : ils présentent l’avantage d’être peu sensibles à leur environnement proche, du fait de leur grande inertie chimique. Ils n’interviennent ainsi dans aucun processus chimique, ni aucune activité biologique. Les gaz rares dissous dans les eaux souterraines ont une origine essentiellement atmosphérique.

Leurs concentrations en solution résultent d’équilibres avec leurs composantes atmosphériques selon la loi de Henry et sont donc fonction des conditions physiques qui régnaient dans la zone de recharge pendant toute la période d’infiltration des eaux (température, pression qui varie avec l’altitude, salinité de l’eau).
Une fois la zone saturée atteinte, la concentration en gaz rares dissous d’origine atmosphérique est préservée, ce qui permet de déterminer les conditions moyennes de température lors de la recharge de l’aquifère  .

Connaître l’âge de l’eau souterraine : ça sert à quoi ?

La datation des eaux souterraines est un outil primordial pour la gestion durable des aquifères  . C’est un outil essentiel d’aide à la décision.

La datation permet de mieux connaître le fonctionnement des nappes   souterraines, d’établir des modèles hydrodynamiques (MONA et de mieux comprendre les évolutions des qualités chimiques des eaux de nappes   et des rivières qui y sont associées. Elle permet de connaitre la vulnérabilité d’une nappe   vis-à-vis de pollutions.
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L’âge de l’eau, ou son temps d’écoulement, permet de prédire le temps de contamination d’une pollution vers un point situé en aval, comme les nitrates ou les pesticides. La connaissance de l’âge de l’eau permet d’apporter des éléments de réponse dans les problématiques de pollution diffuse ou ponctuelle et de connaissance de la ressource.

Un aquifère   à temps de renouvellement court sera très sensible à l’arrivée potentielle de polluants. A contrario, si un aquifère   à temps de résidence important est contaminé, il ne pourra pas récupérer rapidement un bon état chimique, même si des mesures de protections sont prises.

L’exemple des aquifères   du nord du Bassin   aquitain

Face aux interrogations d’opérateurs publics et privés aquitains de la gestion des eaux concernant la pérennité de la qualité de la ressource, l’étude des temps de résidence des eaux des principaux aquifères   du nord du Bassin   aquitain est apparue comme une nécessité.

Les mesures permettent de mieux appréhender les processus d’échanges entre les nappes  , apportent des éléments de compréhension mais aussi de questionnement sur le renouvellement des eaux du système aquifère   nord aquitain.

L’eau des nappes   profondes y est âgée d’environ 20 000 ans, ce qui en fait une ressource peu renouvelable à l’échelle humaine.
Mais l’analyse précise des temps de résidence des principaux aquifères   du nord du Bassin   aquitain (rapport Eaurigine) révèle un schéma de circulation des eaux plus complexe. Il y a par exemple dans certains secteurs des mélanges entre des eaux anciennes et des eaux contemporaines.

De façon assez surprenante, le schéma général selon lequel les eaux les plus anciennes se trouvent en profondeur est contredit par des mesures traduisant un rajeunissement local des eaux.
Ces incohérences peuvent trouver une explication en intégrant les caractéristiques intrinsèques des réservoirs (perméabilités fortes dans le cas des aquifères   karstiques  ) et les aspects structuraux (anticlinal   de Villagrains-Landiras, failles de Bordeaux, faille de la Leyre…). Ainsi, les zones qui subissent des contraintes tectoniques peuvent, au même titre que les zones d’affleurement  , être des zones de recharge.

Distribution des temps de résidence dans les nappes de l’Eocène (rapport RP-62193-FR « Eaurigine »)

Pour en savoir plus :
M. Saltel, C. Innocent, M. Franceschi, B. Lavielle, B. Thomas, R. Rebeix (octobre 2014). « Eaurigine : Caractérisation de la paléorecharge des aquifères du nord du Bassin aquitain par l’utilisation de traceurs isotopiques et des gaz rares » - RP-62193-FR.
Le projet Eaurigine s’inscrit dans le cadre d’un partenariat technique entre le BRGM et des laboratoires universitaires, représentés par l’ENSEGID [1] et le CENB [2]. L’étude a bénéficié du support logistique du Conseil Départemental de la Gironde et du soutien financier de l’Agence de l’Eau Adour-Garonne.

[1École nationale supérieure en environnement, géoressources et ingénierie du développement durable

[2Centre Etudes Nucléaires de Bordeaux

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