par Jean-Pierre PLATEL1, Nicolas PÉDRON2 et Bernard BOURGINE3
1 Expert Conseil en Géosciences - 9, allée des Tourterelles - 33610 CANÉJAN
2 BRGM Aquitaine - 24, Avenue Léonard de Vinci - 33600 PESSAC
3 BRGM - DGR/GSO - 3, Avenue Claude-Guillemin - 45060 ORLÉANS Cedex
Sommaire de l’article :
Depuis une quinzaine d’années, une baisse généralisée et continue (de l’ordre d’un mètre par an) est attestée pour les nappes profondes en Lot-et-Garonne, notamment celles du Jurassique. Aucune stabilisation ne semblant s’amorcer, il est possible qu’il existe un déséquilibre structurel entre recharge et prélèvements, alors que juste au nord dans le département de la Dordogne, un tel comportement ne se présente actuellement pas. Cependant les prévisions d’exploitation pour l’eau potable de toute la région à moyen terme nécessitent une prise en compte globale de la ressource et une gestion appropriée à l’échelle de l’ensemble de ces aquifères afin de satisfaire à terme les besoins de tous les différents usages.
Aussi dans ce contexte, il est apparu nécessaire d’entamer une réflexion intégrée sur la ressource en eau des nappes profondes de tout le secteur nord-oriental du bassin d’Aquitaine, afin de proposer des outils d’aide à la décision concernant la gestion des différents usages de ces nappes .
Une synthèse des données relatives aux réservoirs du Jurassique (et de la base du Crétacé supérieur) réalisée par le BRGM Aquitaine est en cours d’achèvement. La première partie de cette étude, illustrée ici par quelques figures, est constituée par la synthèse géologique des données de cartographie, de sondages et de géophysique, ce qui a permis de proposer une géométrie par modélisation 3D des principaux réservoirs (Pédron et al., 2008).
1. Données de sondages
Pour établir cette géométrie (toits et murs des formations, répartition des faciès ), ont été pris en compte les sondages d’une profondeur supérieure à 25 m, permettant de relayer les coupes des terrains affleurants. Pour la partie de l’étude qui concerne les aquifères du Jurassique, près de 250 sondages ont été sélectionnés dans la Banque des Données du Sous-Sol du BRGM (BSS), mais leur répartition est assez inégale sur le territoire du secteur d’étude, fonction des formations et aquifères existant dans les différents départements. De plus, ces données sont de qualité très variable quant à leur fiabilité de description des terrains traversés, l’attribution stratigraphique des réservoirs captés et la précision des coupes techniques. La plupart sont issues de forages de captage d’eau, mais une quinzaine de grands sondages d’exploration pétrolière (exécutés surtout dans les années 50 et 60), ont aussi fourni de précieux renseignements de calage.
Cependant, comme ces données étaient auparavant affectées d’un degré d’interprétation plus ou moins abouti en fonction de leur ancienneté et des descriptions initiales, elles ont donc nécessité une réinterprétation générale, aboutissant pour nombre de sondages à une réaffectation stratigraphique des formations réservoirs qui captent.
2. Géophysique
Cette étude hydrogéologique a aussi bénéficié des données sismiques retraitées par le BRGM dans son projet Référentiel Géologique de la France, qui concernent l’est (Quercy) et le sud-ouest (Agenais occidental) de cette région, avec des profils qui totalisent plus de 500 km ; ils sont principalement extraits des campagnes GOURDON de 1987 et 1990 : le profil 87 GRN 5, qui traverse le Quercy d’ouest en est, entre Pomarède (46), Labastide-Murat et Anglars (46), est présenté (figure 1) comme exemple de retraitement habillé par le découpage stratigraphique des grands ensembles géologiques.
Figure 1 : Profil sismique 87 - GRN 5 - entre Pomarède (46), Labastide-Murat et Anglars (46)
On y voit notamment l’épaississement très progressif vers l’ouest des séries des Jurassique moyen et supérieur (représentés en bleus) et surtout la très grande puissance des grès et argilites remplissant le bassin permien (plus de 1 500 m dans le milieu du profil - représentés en bistre).
3. Réservoirs aquifères
Plusieurs études universitaires générales ont peu à peu mis en place la lithostratigraphie des séries mésozoïques de la plate-forme nord-aquitaine, surtout constituée depuis le Jurassique inférieur jusqu’à la fin du Crétacé supérieur par l’accumulation de puissantes formations de calcaires, qui peuvent avoir une épaisseur totale de plus de 1 500 m.
Pour le Jurassique, les premières études modernes mettant en œuvre des méthodes d’analyse séquentielle et de reconstruction paléogéographique pour établir la superposition générale des séries jurassiques du nord-est du bassin d’Aquitaine (Charentes, Périgord et Quercy) remontent à la fin des années 60 (Delfaud, 1969, 1970). Puis, à la suite des études biostratigraphiques détaillées des régions charentaise et niortaise (Hantzpergue, 1979, 1987), les plates-formes quercynoises, qui se prolongent en Périgord et Nord-Agenais, ont été plus finement étudiées par les chercheurs de l’Université de Toulouse III pour aboutir à un découpage lithostratigraphique et formationnel précis sur l’ensemble de la série (Pélissié, 1982 ; Rey et al., 1988, 1995 ; Cubaynes,1986 ; Cubaynes et al.,1989, 2004 ; Lezin, 2000). Les cartes géologiques récentes du Quercy et de la Bouriane et les études appliquées à la recherche des ressources en eau ont progressivement bénéficié de l’apport des études scientifiques (Astruc, 1981 à 2000).
En Dordogne les formations jurassiques sont puissantes de 1 200 m au maximum, y compris la formation à anhydrite hettangienne (200 m environ à la base du Lias). Elles peuvent être un peu plus puissantes dans l’ouest du Lot-et-Garonne, par l’épaississement de cette même formation à 500 m environ.
Sur l’ensemble de la plate-forme, il est possible d’individualiser de façon assez générale cinq réservoirs dans la série jurassique séparés par des épontes plus ou moins continues. Quatre principaux réservoirs aquifères calcaires le plus souvent karstiques , qui s’étendent sur la majorité des départements du Lot, de Lot-et-Garonne et de la Dordogne et qui se prolongent jusqu’en Gironde, sont séparés par des formations marneuses ou marno-calcaires (figure 2). Certaines de ces formations carbonatées sont de vastes réservoirs aquifères dont les qualités varient latéralement en fonction de leur nature lithologique, de la recristallisation/cimentation des faciès , de la karstification, qui présentent des communications plus ou moins faciles entre eux.
Figure 2 : Les principaux réservoirs de la série moyenne du Jurassique quercynois (complété d’après Astruc et al, 1996)
Ce sont, de bas en haut (épaisseurs entre parenthèses) :
- les grès et calcaires dolomitiques du Lias inférieur et moyen (70/100 m),
- les calcaires et dolomies du Bajocien - Formations d’Autoire et de Cajarc inférieure (30/170 m),
- les calcaires du Bathonien supérieur / Callovien / Oxfordien - Formations de Cajarc supérieure, de Rocamadour et de Saint-Géry (100/650 m),
- les calcaires de l’Oxfordien / Kimméridgien basal - Formation de Cras (50/170 m).
- un cinquième réservoir calcaire existe localement au-dessus de ces marno-calcaires, constitué par les calcaires dolomitiques du Tithonien (ex-Portlandien) - Formations de Salviac et de Peyrilles (30/100 m), qui contient une nappe libre dans le Causse de Florimont-Gaumier (Bouzic) et une nappe captive de faible extension entre Bouglon et Lagruère. Il se retrouve, en Dordogne, déconnecté du secteur précédent, aux environs de Chapdeuil-La Tour-Blanche, ainsi que vers l’ouest de la plate-forme dans le sous-bassin de Parentis avec la Dolomie de Mano très karstifiée.
Les épontes imperméables intrajurassiques sont de bas en haut :
- les marnes du Toarcien (30/40 m), seule éponte continue,
- les calcaires à niveaux marneux du Bathonien inférieur (40/70 m) qui ont tendance à disparaître au centre de la Dordogne et vers l’ouest,
- les marnes de l’Oxfordien supérieur (100/150 m) dans la partie ouest, passant à 30 m environ de série imperméable vers l’est,
- les marno-calcaires du Kimméridgien (plus de 200 m) qui séparent presque partout les aquifères jurassiques des aquifères crétacés,
4. Structuration
Le pendage régional nord-est/sud-ouest fait progressivement plonger les formations jurassiques qui affleurent en Quercy, ses réservoirs se retrouvant presque partout captifs en Lot-et-Garonne, en Dordogne et en Gironde. Deux coupes orthogonales au centre du secteur d’étude ont été choisies (figures 3 et 4), complétées par la carte du toit du réservoir Bathonien-Callovo-Oxfordien (figure 5). Les pendages y montrent un approfondissement depuis le nord de la Dordogne jusque vers la vallée de la Couze et une remontée régulière en direction du sud vers le promontoire de Montauban. De ce fait, les terrains jurassiques sont peu profonds au sud de la vallée du Lot (-300 NGF), d’autant que les formations crétacées puissantes de plus de 500 m en Périgord Noir (Lalinde) sont progressivement érodées dans le nord du Lot-et-Garonne sous la discordance des terrains continentaux tertiaires.
Figure 3 : Coupe géologique-réservoir schématique n°4 entre Maillas (40) et le Causse de Gramat (46)
Figure 4 : Coupe géologique-réservoir schématique n°6 entre Mareuil (24) et le nord du Causse de Limogne (46)
Figure 5 : Surface du toit du réservoir principal Bathonien-Oxfordien modélisée dans MONA
5. Puissances
Deux cartes issues de la modélisation des principaux réservoirs sont présentées comme exemples.
5.1. Ensemble Bathonien-Oxfordien
C’est le réservoir le plus constant sur la plate-forme puisqu’il existe dans tout le Quercy, le Périgord, l’Agenais, le Sud-Charentes et la majorité de la Gironde. Alors que sa puissance moyenne sous couverture (figure 6) est de 200 m dans les secteurs orientaux du Lot-et-Garonne et de la Dordogne, elle augmente nettement sur un axe Angoulême - Mussidan - Langon - Labrit pour dépasser fréquemment 350 m et même 550 m autour de Langon et au nord de Marmande. Le réservoir se réduit dans le Médoc à moins de 150 m.
Cet axe à forte puissance correspond globalement aux faciès à dominante granulaire (oolithes ) qui était déjà connus comme une zone barrière entre les plates-formes interne et externe, traversant le bassin d’Aquitaine de façon méridienne (Delfaud, 1970 ; BRGM et al., 1974).
Figure 6 : Puissance du réservoir principal Bathonien-Oxfordien modélisée dans MONA
5.2. Bajocien
Il est généralement séparé du précédent par une éponte imperméable de 30 à 50 m environ, correspondant aux marnes de la Bouye (Formation de Cajarc). Ce réservoir a une extension un peu plus restreinte puisqu’il n’existe pratiquement pas en Gironde et dans les Landes (figure 7).
Comme pour le réservoir sus-jacent, il présente une puissance maximale sur un axe Mareuil - Périgueux - Villeréal - Clairac - Agen, dépassant fréquemment 100 m et atteignant 170 m dans le sud de la Dordogne. Cet axe correspond aussi à des faciès granulaires de barrière cimentés et/ou dolomitisés, décalé vers l’est de 50 km environ par rapport à celui de l’Oxfordien. Ailleurs le réservoir a 30 à 50 m d’épaisseur. Il disparait progressivement dans le Sud-Charentes et l’est de la Gironde.
Figure 7 : Puissance du réservoir du Bajocien modélisée dans MONA
La profondeur du premier réservoir captif du Jurassique (Oxfordien-Kimméridgien en Dordogne et au nord de la vallée du Lot, réservoirs du Jurassique moyen au sud) est assez variable (200 à 600 m) ; son recouvrement pouvant être d’âge Kimméridgien en Dordogne à Tertiaire dans le sud du Lot-et-Garonne.
En Dordogne, le toit du premier aquifère jurassique (Oxfordien-Kimméridgien) se trouve à l’affleurement (nappe libre) dans le causse Cubjac à l’est de la faille du Change et devient captif à l’ouest de l’accident où il s’enfonce à -100 m NGF à l’est de Périgueux, -750 m NGF dans le secteur de Mussidan et -1 200 m sous la vallée de la Dordogne vers Montcaret.
En Lot-et-Garonne, à part le réservoir du Tithonien, le toit du premier aquifère jurassique captif (Oxfordien-Kimméridgien) se situe à -60 m NGF dans le nord-est du département (structure de Sauveterre) et s’enfonce vers -200/-550 m NGF sous la vallée du Lot, pour se trouver à -850 m NGF dans le secteur de Casteljaloux. Comme la discordance du Turonien et l’épaississement des formations détritiques tertiaires s’accentuent au sud de la vallée du Lot, ce ne sont que les réservoirs inférieurs du Jurassique qui se rencontrent au sud de la Garonne (forage F1 du Passage, par exemple). De manière générale, les forages des environs d’Agen-Villeneuve captent des aquifères différents.
En résumé, la synthèse géologique et hydrogéologique des réservoirs du Jurassique a permis d’établir une géométrie par modélisation intégrée dans MONA (MOdèle Nord-Aquitain), afin de proposer des outils d’aide à la décision concernant la gestion globale des nappes d’eaux souterraines captives de tout le secteur nord-oriental du bassin d’Aquitaine.