par M. Saltel - BRGM Aquitaine
Sommaire de l’article :
- 1. Définition du réservoir
- 2. Paramètres hydrodynamiques
- 3. Alimentation de la nappe
- 4. Piézométrie
- 5. Exutoires
- 6. Géochimie
1. Définition du réservoir
L’extension de cet aquifère déborde au-delà des limites du département de la Gironde, pour se déployer en Dordogne jusqu’à Bergerac et dans le Lot-et-Garonne jusqu’à Agen, où dominent des faciès détritiques . Vers le sud, au droit de la structure de Villagrains-Landiras, une vaste lacune d’érosion vient biseauter les formations aquifères de l’Éocène.
Figure 1 : Carte de localisation de l’Eocène du Bassin Aquitain [BRGM, 2010]
En raison de l’alternance des dépôts, l’ensemble des formations de l’Éocène est considéré comme un système aquifère multicouche complexe. En effet, la succession des apports sédimentaires au cours du temps entraîne une hétérogénéité verticale et horizontale des faciès (Figure 1), et amène nécessairement des discontinuités dans les terrains imperméables mettant en relation hydraulique les différentes couches perméables dont l’épaisseur peut être très variable [Bichot et Lemordant, 1995].
D’un point de vue hydrogéologique, quatre grands types de dépôts du Tertiaire présentent un intérêt :
- les sables continentaux (Formations de Guizengeard, de Boisbreteau…),
- les calcaires lacustres (Issigeac, Eymet, Ondes, Plassac…),
- les sables littoraux (sables inférieurs du Bordelais…),
- les calcaires de plate-forme (Blaye, Saint-Estèphe, Saint-Yzans…).
Ces différents types de dépôts permettent d’individualiser trois réservoirs principaux dans l’Éocène dont la définition s’appuie sur les faciès des formations. Cette définition n’obéit donc pas forcément aux subdivisions stratigraphiques habituelles (Éocène supérieur, moyen et inférieur) dont les dénominations ont cependant été conservées par souci de clarté [Pédron et al., 2003].
L’aquifère de l’Éocène inférieur est constitué par les sables fluviatiles de l’Éocène inférieur qui s’étendent depuis les zones d’affleurement à l’est jusqu’au Bordelais. Ils passent ensuite progressivement vers l’ouest à des calcaires de plate-forme marine.
L’aquifère de l’Éocène moyen est constitué d’est en ouest par :
- les sables de l’Éocène inférieur à moyen (Formation de Guizengeard principalement (détritique ) et des sables inférieurs du Bordelais (marin)) qui s’étendent depuis les zones d’affleurement à l’est et au nord jusqu’au Médoc et à l’ouest de la Garonne,
- les calcaires (de Blaye, de Couquèques…) de l’Éocène moyen correspondant au domaine de plate-forme marine (Médoc, Bassin d’Arcachon, une partie de l’Entre-Deux-Mers).
L’aquifère de l’Éocène supérieur comprend d’est en ouest la partie inférieure de la formation de Boisbreteau (anciennement appelée sables du Périgord), constituée de sables argileux s’étendant dans le secteur de la Double et du Landais, les sables fluviatiles du Libournais (Éocène moyen à supérieur), à l’est de la Garonne depuis Sainte-Foy-La-Grande jusqu’au Fronsadais et les calcaires de plate-forme marine de l’Éocène supérieur (Médoc, Bassin d’Arcachon, Entre-Deux-Mers). Les calcaires lacustres interstratifiés dans les molasses au sud-est, dans les secteurs d’Eymet et d’Issigeac, peuvent localement être en relation avec le reste de l’aquifère .
Dans la partie nord du Bassin Aquitain, les trois nappes de l’Éocène sont globalement limitées à l’est et au nord par les zones d’affleurements , au sud-ouest par les faciès pélagiques marneux et argileux du bassin de Parentis et au sud-est par la zone haute de Montauban (passage à des formations molassiques).
Au centre de ce dispositif, la structure de Villagrains-Landiras, où affleure le Crétacé, constitue une zone de lacune des trois aquifères de l’Éocène.
Du fait de l’enfouissement progressif des formations, les aquifères de l’Éocène sont rencontrés à des profondeurs de plus en plus importantes vers l’ouest. Les niveaux productifs de l’Éocène inférieur par exemple sont déjà à plus de 200 m de profondeur dans la vallée de la Dordogne au droit de Montcaret et plus de 400 m au niveau de Bordeaux.
- Figure 2 : Coupe lithostratigraphique synthétique de l’Éocène Nord-Aquitain entre la Gironde et le Lot [Dubreuilh, 1987]
2. Paramètres hydrodynamiques
L’analyse des valeurs issues de la littérature permet de dégager un certain nombre de tendances sur la répartition des transmissivités [Larroque, 2004]. Les valeurs de transmissivité peuvent être regroupées en deux ensembles, dont les distributions suivent très schématiquement une loi normale (Figure 2).
- Figure 3 : Répartition des transmissivités mesurées pour l’aquifère de l’Éocène [Larroque, 2004]
Les effectifs les plus importants observés pour ces deux groupes sont atteints respectivement aux valeurs de 5.10−4 m2.s−1 pour les faibles transmissivités et de 2.10−3 m2.s−1 pour les valeurs plus élevées. Cette répartition bi-modale pourrait correspondre à l’existence de deux sous-systèmes répondant chacun au critère de normalité. L’examen de la répartition dans l’espace de ces valeurs montre une certaine cohérence. En effet, le groupe de valeurs le plus faible est associé aux faciès détritiques , localisés au nord-est de la bordure occidentale du cours actuel de la Garonne et de la Gironde. Les formations aquifères des « Sables inférieurs » sont caractérisées par une porosité d’interstice. L’épaisseur réduite de ces formations, de l’ordre de la vingtaine de mètres, explique en partie les faibles valeurs de transmissivité mesurées. Les perméabilités déduites sont voisines de 5.10−5 m.s−1, ce qui correspond à des perméabilités médiocres.
La localisation du second ensemble de transmissivité coïncide avec les faciès calcaires du réservoir éocène. Les points de mesures sont situés principalement à l’ouest de l’axe de la Gironde et de la Garonne. Une puissance plus importante de ces terrains calcaires permet, en dépit d’une porosité de fissure peu développée et associée à l’existence locale d’une fraction argileuse importante, d’expliquer les plus fortes valeurs de transmissivité mesurées. Il est important de remarquer que les transmissivités les plus élevées 2.10−2 m2.s−1 ont été mesurées le long de l’axe de la Garonne. Ces valeurs doivent correspondre à des zones de porosités d’interstices élevées combinées à une épaisseur importante des terrains aquifères . L’existence de failles telles que la faille de Bordeaux et son prolongement le long de l’axe de la Garonne a pu générer la mise en place d’une porosité de fracture localement importante.
Les valeurs de coefficient d’emmagasinement pour l’aquifère de l’Éocène issues de l’interprétation des essais de pompages sont comprises entre 10−5 et 10−4, ce qui est relativement commun pour une nappe captive.
3. Alimentation de la nappe
L’alimentation directe des aquifères de l’Éocène moyen et de l’Éocène inférieur est assurée par les zones d’affleurements situées vers les marges du bassin . Ces secteurs correspondent aux flancs de l’anticlinal de Jonzac au nord et aux vallées de la Double et du Landais, comprises entre la vallée de la Dordogne au sud et celle de la Dronne au nord ([Le Gallic, 1966] ; [Pelletier, 1966]). Le secteur situé à l’ouest de l’anticlinal de Jonzac est caractérisée par des faciès sableux qui permettent une bonne infiltration des eaux. Par contre, à l’est du dôme, les formations éocènes plus argileuses, n’autorisent qu’une alimentation médiocre et ne permettent pas d’expliquer les apports que reçoit la nappe éocène dans cette zone. L’alimentation, dans ce secteur, s’effectuerait donc préférentiellement par l’intermédiaire des aquifères encadrant.
Les affleurements susceptibles de réalimenter directement l’aquifère de l’Éocène supérieur sont eux exclusivement localisés dans le Médoc.
Le réseau hydrographique peut également jouer localement un rôle d’alimentation, par exemple la Dordogne qui alimente la nappe de l’Éocène inférieur à l’est de Bergerac, ou le Lot qui l’alimente à l’aval de Fumel.
Parallèlement à cette alimentation directe, les aquifères de l’Éocène peuvent être alimentés par drainance :
- flux descendants : au centre du Médoc, le recouvrement des terrains éocènes par les formations oligocènes, miocènes et plio-quaternaires ne permettrait qu’une alimentation indirecte par transit successif de nappe en nappe [Moussié, 1972] ;
- flux ascendants : il existe en effet une relation étroite entre les formations aquifères du Crétacé supérieur et celles des Sables éocènes. Il n’existe pas d’épontes franches entre les deux horizons, seulement de minces niveaux discontinus d’argiles de décalcification. Plus au sud, la structure de Villagrains-Landiras joue probablement un rôle dans l’alimentation de la nappe éocène. La structure, caractérisée par une large lacune des formations éocènes, pourrait permettre par l’intermédiaire des formations du Crétacé une alimentation indirecte de la nappe éocène, comme c’est le cas pour l’anticlinal de Jonzac dans la bordure nord du Bassin Aquitain [Saltel, 2008].
4. Piézométrie
La nappe de l’Éocène, autrefois artésienne, a depuis longtemps largement été sollicitée pour l’alimentation en eau potable de l’agglomération bordelaise. Du fait de l’importance stratégique de cette nappe , de nombreuses cartes piézométriques ont été dressées à partir des années 1950 afin, dans un premier temps, d’étudier les modalités de circulation [Schoeller et al., 1966] (zones d’alimentation, exutoires, axes de drainage), et plus tard de surveiller l’évolution de la piézométrie induite par les prélèvements effectués sous Bordeaux.
A noter que l’aquifère éocène est un réservoir complexe correspondant à un ensemble d’unités aquifères imbriquées et interconnectées entre elles. Les cartes piézométriques construites ne font pas la distinction entre les différents horizons. Les surfaces élaborées doivent être considérées comme représentatives d’un niveau moyen.
Une esquisse de l’état initial de la nappe effectuée à partir d’une cinquantaine de mesures datant de la fin du 19ème siècle soulignerait l’existence d’un axe de drainage naturel préexistant à toute exploitation [Bellegarde, 1969]. Sur la seconde moitié du 20ème siècle, l’évolution de la piézométrie a largement été influencée par les prélèvements effectués au droit de l’agglomération bordelaise (Figure 3).
- Figure 4 : Évolution de la piézométrie de la nappe de l’Éocène dans le domaine nord aquitain de 1950 à 1998 [Mauroux et al., 1999]
5. Exutoires
L’océan Atlantique et l’estuaire de la Gironde constituent les exutoires majeurs de la nappe éocène. Les reconnaissances géologiques sous-marines effectuées au large de la côte du Médoc montrent l’existence d’affleurements calcaires qui s’étendent sur plus de 25 km le long du rivage et sur 4 à 8 km de large. Les terrains observés montrent le passage de l’Éocène supérieur à l’Oligocène [Froidefond et al., 1984]. L’analyse du modelé piézométrique révèle nettement l’existence d’une zone d’exutoire localisée sous la Gironde à l’aval de Blaye. Les formations calcaires de l’Éocène moyen et de l’Éocène supérieur ont été reconnues par l’intermédiaire de nombreux carottages dans le lit de l’estuaire de la Gironde [Allen et al., 1970]. Ils sont recouverts par des graviers et des sables, mais aussi par des éléments marneux ou argilo-marneux.
6. Géochimie
Les eaux de l’aquifère de l’Éocène sont en majorité de type bicarbonaté calcique. Elles sont néanmoins plus sulfatées et chlorurées dans l’Entre-Deux-Mers et fortement chlorurées dans le Médoc. Les conductivités sont globalement inférieures à 300 µS.cm−1 , sauf le long de l’axe de la Garonne où les valeurs mesurées s’élèvent jusqu’à 1 000 µS.cm−1. Aux abords de la vallée de la Gironde, les concentrations en chlorures sont proches de 100 mg/l. En aval du bec d’Ambès, à partir de Saint-Yzans-de-Médoc, le long de l’estuaire de la Gironde, des campagnes de mesures ([Platel et al., 1999] ; [Schnebelen et al., 2002]) ont mis en évidence l’existence d’eaux plus saumâtres (≈ 4,5 g/l). Dans ce secteur, un paléo-chenal mis en place lors du creusement anté-flandrien est venu entailler les formations de l’Éocène, pour être comblé ultérieurement par des sables et des graviers. Recouvert par des argiles, les formations flandriennes forment une nappe captive locale présentant une circulation marginale [Schoeller et Pouchan, 1960]. L’eau saumâtre, mise en évidence entre Saint-Yzans et Jau, ne proviendrait pas de l’estuaire, mais correspond à une eau fossile provenant de cette nappe captive locale mal lessivée depuis la transgression flandrienne du fait d’un renouvellement quasi nul.