Les karsts « hypogènes »

La spéléogenèse hypogène a fait son apparition dans les années 1990 à 2000. Depuis, de plus en plus de cavités sont décrites et classées comme hypogènes (Klimchouk, 2007 ; 2009). Actuellement, la définition d’un karst   hypogène peut se définir comme « la formation de structures de perméabilité   agrandies par dissolution, lors de la remontée d’eau souterraine profonde, indépendante de la recharge de la surface sus-jacente ou immédiatement adjacente » (Klimchouk, 2007).
De ce fait, on observe parmi les karsts hypogènes les tendances suivantes (Audra & Palmer, 2015) :

Figure 1 - Systèmes karstiques épigènes (EKS) et hypogénes (HKS) dans un contexte d’écoulement d’eaux souterraines au sein d’un bassin (Klimchouk, 2007 adapté et modifié d’après Toth, 1999). La figure montre l’écoulement guidé principalement par la gravité dans un bassin homogène idéalisé. En réalité, les séquences sédimentaires sont très hétérogènes et l’écoulement par gravité interagit avec d’autres mécanismes d’écoulement.

  • D’un point de vue géochimique, l’agressivité de l’eau peut provenir de sources profondes (Figure 1). La chimie de l’eau présente souvent des concentrations significatives de sulfures, sulfates ou dioxyde de carbone dissous, associés à des métaux ou des éléments traces (Audra et al., 2015). C’est le cas de la genèse des gisements hydrothermaux, ou plus particulièrement dans les environnements karstiques  , des gisements de plomb-zinc de type « Mississippi Valley types ». Dans les zones profondes du bassin  , les circulations s’effectuent de manière verticale le long de discontinuités ou de failles par lesquelles les fluides du socle ou du manteau supérieur peuvent remonter et se mélanger aux aquifères   sus-jacents (Klimchouk, 2012). Dans ce cas, les paramètres physico-chimiques évoluent au cours de la remontée, causant des dissolutions et précipitations sélectives. Les anomalies thermiques et géochimiques s’expriment ainsi dans les aquifères   supérieurs (Figure 2).
Figure 2 - Représentation conceptuelle de la nature de la spéléogenèse hypogène (Klimchouk, 2012) à travers les formations dans la partie supérieure de la croute (A) et des paramètres de spéléogenèse hypogène typique : dans un cadre artésien (B) ; dans un cadre profond ©. La spéléogenèse hypogène est liée à la remontée de panaches d’eau provenant de profondeurs variables, se prolongeant vers la surface le long des zones de perméabilité verticale accrue. Ces remontées d’eau interagissent avec les aquifères supérieurs ce qui développe des zones d’influence dont l’extension latérale varie en fonction de la perméabilité et du régime des eaux souterraines dans les aquifères traversés. La configuration © est tirée de Andreychouk et al., 2009

  • Due à la considérable distance entre la zone de recharge et l’exutoire, souvent supérieure à la dizaine ou à la centaine de kilomètres, les circulations souterraines sont guidées par le gradient   hydraulique régional (Figure 1), avec des perméabilités souvent situées au niveau de fissures. Les remontées de ces circulations, parfois lentes, provoquent un mélange avec les aquifères   sus-jacents, ce qui provoque une chute de la température et de la minéralisation. Le principe des circulations hypogènes repose sur une zone de recharge lointaine ou profonde, des transferts lents et profonds, et une aire de sortie au niveau des creux topographiques, généralement le long de failles permettant une remontée rapide et plus aisée des flux (Audra & Palmer, 2015). Le transfert de flux, dans les portions amont des bassins, est défini comme le concept de gradient   gravifique régional (Toth, 1970 ; 2009) adapté à la spéléogenèse hypogène par Klimchouk (2013 a, b). Les hauts topographiques jouent le rôle de zone de recharge, et les bas topographiques jouent le rôle d’aire de décharge (Figure 1).

Proche de la surface, les boucles phréatiques sont dominantes. Pour les aquifères   profonds rechargés par les flux météoriques gravifiques, il faut distinguer les zones de bordures des zones internes du bassin  . Concernant les zones marginales, la majorité de l’alimentation ressort au niveau de ces mêmes zones, alors que les zones internes sont drainées principalement par des flux verticaux et affichent de très faibles contributions latérales venant des zones de bordure de bassin   (Figure 1). Dans les aquifères   confinés, les flux latéraux sont dominants dans les unités perméables et verticaux au sein d’unités moins perméables. Cette composante verticale entre réservoirs captifs séparés par une éponte, s’appelle aussi la drainance.

Dans les zones de bordure de bassins sédimentaires, les eaux météoriques provenant des zones de recharge se mélangent avec les eaux profondes et remontent vers les creux topographiques (typiquement les vallées fluviatiles), formant une ceinture de formes spéléogénétiques hypogènes avec de larges dépressions correspondant à de profonds pipes bréchiques. Ces pipes de brèches ont d’abord été décrits comme des « orgues géologiques », « puits de Dièves » ou encore « Crans » (Renault, 1957 ; 1970). Dans le nord de la France, de grandes structures cylindriques traversent les terrains carbonifères et sont remplies par une brèche constituée d’éléments provenant de la couverture sus-jacente. Ces structures ont déjà été interprétées comme le produit d’une karstification profonde (Quinif, 1995).

Dans les zones plus internes du bassin  , au sein des étages hydrogéologiques supérieurs, le système multicouche aquifères   / aquitards présente un modèle de circulation contrôlé par la topographie (Figure 3). Dans les aquitards, la circulation verticale prédomine avec des communications descendantes à travers les formations sous les hauts topographiques, et ascendantes sous les vallées (Figure 3). Dans les aquifères  , la circulation latérale est dirigée depuis les hauts topographiques jusqu’aux bas topographiques. Dans le cas d’un relief ondulé, les aires de recharges avec une drainance descendante, alternent avec des aires de « décharge » avec une drainance ascendante.

Figure 3 - Échelle de temps des écoulements dans différents aquifères (Toth, 1995)


Notons aussi de très nombreux cas de figures de karstification hypogène, produits lors de remontées ascendantes de fluides dans des cas de déformations tectoniques, comme des plis (Figure 4) ou encore dans les zones d’intrusions volcanique et magmatique (Caramana, 2002 ; Audra et al., 2009 a,b ; Gary, 2010).


Figure 4 - Remontée d’eau souterraine depuis un aquifère sableux profond au sein de formations carbonatées sus-jacentes à travers un anticlinal, où de nombreuses fissures et joints stratigraphiques sont exploités par la dissolution et forment un réseau spéléogénétique. Exemple dans l’Est du Missouri, USA (Brod 1964)

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La karstification et les différents systèmes karstiques